Près de la Piazza Bellini – qui est en réfection – au rez d’un ancien palais gris lave, le Tertulia propose une terrasse. Il est quinze heures.
C’est un café-librairie. Elle choisit le dernier roman de Simonetta Agnello Hornby. Je tombe sur le premier livre d’Erri De Luca. Quelqu’un m’a parlé de lui, le soir de la remise du Prix Fems. Cela pourrait m’intéresser.
On s’installe. Deux cafés, deux verres d’eau et quatre biscuits saupoudrés de cacao nous suivent.
Non ora, non qui. Naples. Une enfance pauvre. Les parents ne parlent pas le dialecte, mais l’italien. C’est leur façon de rester la tête hors de l’eau.
En face de moi, une avenue, une rue adjacente et entre les deux un immeuble en fer à repasser. Même couleur gris lave que le palais, le dôme et tant d’autres édifices.
Déjà elle est plongée dans le roman. La rumeur de la ville est faible, à cette heure. Mais derrière moi, un magma sonore: les travaux de réfection de la place – petite grue crissant sur l’asphalte, perceuses, coups de marteau. Sur l’avenue, une moto, un bus. Des gens qui passent. Ça bourdonne quand même. Jamais de silence.
Saveur des phrases. Lumière des pages du livre. Enfant, il balbutiait. Serrements. Étroitesse de la rue. Exiguïté de la chambre. Serrements de dimanche. Serrements de ville, dont il a peur. Un père. Les femmes qui se hèlent de bas en haut, d’une fenêtre l’autre.
Tout de suite, impression que cela m’est adressé. Rare.
En face, haut sur l’immeuble, un balcon très étroit court, tourne à la pointe du fer et disparaît de l’autre côté. Ça et là, des hublots blancs. Accroché à la façade, un lampadaire art nouveau. Portes-fenêtres et pare-soleil aux fines lamelles roussies.
Nobles la corniche, les cadres sculptés, les encorbellements. Prosaïques le tuyau d’écoulement, la peinture du rez-de-chaussée, le panneau: interdit aux camions.
Elle a levé la tête. Elle ne dit rien. Elle aussi, je crois, s’est glissée dans une poche, une petite poche de sensibilité – exacerbée et vaporeuse tout à la fois.
J’imagine.
Non ora, non qui.
Soleil, aridité future.
Je sens sourdre une immense volonté d’écrire.
1 commentaire:
du plus loin que je me souvienne, quelqu’un se glisse, en passant par l’angle mort, et dépose un verre d’eau devant moi ; quand j’ai fini de boire, je détourne les yeux un instant et le verre n’y est plus ; mais depuis peu, et sans raison apparente, les verres apparaissent pleins à ras bord d’un liquide visqueux ; je pense qu’il s’agit de salive
et j’ai beau tourner la tête, il restent posés là, même si je suis seul à les voir
----
cette séquence venue d'un bloc au réveil ce matin, mais le rêve dont elle procède a complètement disparu
Enregistrer un commentaire