«Avec Dylan, pour l’écrivain, ce qui est génial, c’est qu’il n’y a pas à inventer. Ce qui me hérisse de plus en plus, c’est fabriquer du simulacre de réel en s’imaginant qu’on va mieux le comprendre. Au contraire: à quel endroit, à mesure qu’on approche le langage du réel, il reste une énigme? À cet endroit-là, on peut la faire vivre quand même, mais on doit la faire vivre sans simulacre.»
François Bon chez Alain Veinstein
Je me souviens de Jérôme, qui m’a demandé: pourquoi le roman? Le roman, ici, admettons que c’est le simulacre.
Cette semaine, la bribe de réel, le souvenir de mon père, c’était la télé au village, depuis la fin des années cinquante. Deux télés dans le village, dont une à l’église.
Je me mets au travail: où, dans l’église? et comment, la télé? J’opte pour la sacristie et je trouve une image, un appareil Geloso. Alors, je simule. Je vois distinctement le Geloso dans la sacristie. Ça me plaît. Et à la fin, j’ajoute une bribe, la bribe Hitchcock. J’ai fabriqué un truc.
Ce qui est sûr, c’est que je ne m’imagine pas que je comprends mieux (donc je me sens à moitié concerné). J’invente (je n’invente rien, je déplace) pour faire voir. Et l’idée serait aussi de faire vivre, tant qu’on y est.
À Jérôme, j’ai répondu quelque chose autour de l’émotion et aussi que c’était le genre imposé par la Fondation et j’aurais dû ajouter que ça s’impose tout court: écrire, c’est écrire des romans.
Mais s’il s’agit d’aller vers soi-même, comme dit aussi François Bon, alors je peux dire que, gamin, quand je rentrais de Sicile, je voulais raconter. Et, maladroitement, j’essayais déjà de ressembler au roman.
Les mots, ça ne ressemblait pas au réel. Et l’énigme, ça me dépassait.
Donc, j’essaie d’être fidèle au simulacre.
Signes non pour être complet, non pour conjuguer / mais pour être fidèle à son ‘transitoire’ / Signes pour retrouver le don des langues / la sienne au moins, que, sinon soi, qui la parlera ? H.M.
06 novembre 2007
Bob Dylan John Geloso
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4 commentaires:
c'est hyper émouvant ce que tu dis, et ça me met les larmes aux yeux... cette nuit je viens de comprendre, enfin, enfin, ce que je suis en train d'essayer de faire... ça s'appelle un roman!
ci-dessous la vidéo sur le site de François Bon, pour moi central ce que dit Michon sur l'effet de réel... ce que tu nommes simulacre; on y est, exactement; roman, faire effet de réel avec l'écriture; pas plus compliqué que ça... tout le contraire du possible, du "faire vrai", misérable doxa pour misérables romanciers!...
Effet de réel avec le langage, effort fou, singularité extrême, invention sur fond classique total... et l'impossible se met immédiatement à déferler! ^^
(vidéo en bas de page)
http://www.tierslivre.net/spip/spip.php?article856
J'ai regardé la vidéo, happé des phrases:
"Cette catégorie fourre-tout de roman... Elle désignait au siècle dernier des ouvrages extraordinairement novateurs. Maintenant, c’est une catégorie pour les ouvrages conventionnels." (Michon)
"L’effet de réel, ça veut dire quelque chose qui ne soit pas du décalque de réel, quelque chose qui ne soit pas simplement une histoire racontée, mais quelque chose qui crée du réel à partir de l’écrit. Ça a toujours été ça, l’écriture." (Michon)
"Le romanesque a disparu du monde." (Bergounioux)
"Si vous voulez, ce qui m’ennuie dans le mot roman, c’est que ça voudrait dire que tout ce qui sera dans ce livre sera faux. Dans le mot essai, ou autobiographie, ce serait que tout serait vrai. Pourquoi voulez-vous à l’avance que je confisque une part de moi, une part de ce que je pourrais dire de mon expérience? Je veux à la fois le faux, à la fois le vrai, pouvoir dire je, il, nous, pouvoir faire fonctionner tout le pronominal. Malheureusement, chaque genre n’est habituellement qu’un fragment de la ressource pronominale. C’est un peu comme si on avait demandé pendant des siècles aux écrivains, certains de composer en la majeur, d’autres en ut, d’autres en si bémol. Nous n’avons pas besoin de genres. Pour des raisons d’authenticité à l’égard de ce que nous voulons vivre de nous. Écrire, c’est vivre, c’est penser quelque chose, ça n’est pas correspondre à quelque chose qui doit être fait." (Quignard)
Cette dernière phrase m'a frappé. Le roman, j'essaie d'y mettre du "mien", mais je ne peux pas nier qu'il cherche, dans le même temps, à "correspondre à quelque chose qui doit être fait".
vient de sortir cette petite somme "Devenirs du roman" http://blog.lignesdefuite.fr/post/2006/12/17/devenirs-du-roman
que je ne vais pas lire maintenant, mais bon de savoir...
à la question, comment le monde peut-il continuer d'exister, posée par Alain Fleischer au début des "Angles morts", et que Thierry Metz, entre autres, reprend à son compte sous forme de viatique, je réponds en reprenant le sentiment que tu as et exprimes: "quelque chose doit être fait"... mais fait par qui, par soi, par le texte ? et à qui, à soi, au texte, au monde, justement?
on ne croira jamais un romancier qui parle du roman, comme on ne pense pas trouver une once de vérité dans la bouche d'une m^re parlant de ses enfants...
tout est bon, on avance, non?
"écrire rêve de ne pas arrêter ce qui est en train de se perdre, rien de plus impuissant et désespéré, donc rien de plus fidèle aux infidélités de la vie" Hélène Cixous, "Si près"
si écrire un livre ressemble à une résurrection, comme l'écrit H. Cixous, résurrection dont l'enjeu est le livre, comment comprendre cette résurrection, cette manière d'oser affirmer "que quelque chose doit être fait" car quelque chose appelle la tendresse de l'écriture, une manière de rendre justice au réel, comment, oui, concilier cette résurrection avec l'idée selon laquelle écrire accompagne ce qui est en train de se perdre? "Rêve de ne pas l'arrêter"... peut-on faire sans actes, marcher sans laisser une trace? Montrer est-ce déjà retenir?
tu parles de simulacre... il me semble que le simulacre ouvre un intervalle, arme la confiance qui permet à la phrase de venir, sans répondre, en répondant, sans répondre, en répondant
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