"C'était une impression de voyage."
Jean Rolin
Depuis plusieurs jours, je remarque, en me levant vers sept heures, et en regardant la place de jeux de ma fenêtre, que des types, des étrangers, discutent avec les SDF qui passent la nuit dans les tourelles du château fort ou près du bac à sable. Surpris de cette apparente familiarité des uns et des autres.
Ce matin, je descends à la réception. Je veux acheter un jeton pour ma lessive. Je discute avec Mme Keller. Elle m'apprend que le jardin est rempli d'étrangers - des Afghans - qui se sont indûment approprié cet espace... Étonnant. Bien sûr, j'ai remarqué leur présence, la journée, dans le parc, au milieu d'autres usagers. Ils jouent souvent au football. Mais j'ai pensé qu'il y avait à proximité un centre d'accueil ou quelque chose de ce genre. Que nenni! Ils passent ici leurs journées et leurs nuits! ajoute Mme Keller.
Là, je réalise. Les SDF de la place de jeux... Ce ne sont pas des SDF, mais des Afghans. C'est pour ça que, le matin, ils discutent aussi naturellement avec les Afghans, les autres, qui débarquent, qui ont certainement dormi dans le coin, pas loin. En fait, ils parlent entre eux, les uns déjà levés, les autres encore couchés.
Prégnance des représentations figées. Pour moi, un SDF, c'est un SDF. Disons que c'est un SDF tout court. Impossible d'imaginer un SDF afghan. Faut pas pousser. Chacun son truc. Chacun sa place.
Je remonte dans ma chambre. Sentiment d'exaltation mêlée. Je me dédouble: le blaireau que j'étais il y a dix minutes, avec son imaginaire-à-deux-balles, se fait remonter les bretelles par l'observateur que je deviens, recoupant ce qu'il voit, ce qu'il entend, ce qu'il devine... et presque sans quitter sa fenêtre. Volupté latérale.
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