S. fait la moue quand je dis "ici" ou "la maison" pour désigner Paris, le Centre, la cellule, et non plus notre appartement, dans "notre" ferme, en Suisse. Sentiment accusé d’éloignement, de séparation, alors que nous sommes l’un en face de l’autre.
Brève méditation sur mon besoin de relier.
Il y a que je me crois possédé par le démon de l’analogie.
Exemple: je lis dans Le Peintre de la vie moderne – dans une édition qui vient de paraître et que j’ai achetée avant-hier dans la librairie Delamain, qui fait face à la Comédie-Française, tandis que S. et M. étaient installés en terrasse, sur la place Colette – je lis "bachi-bouzouk" et voici que ma présence à Paris, ma lecture savante de Baudelaire, en vue de la thèse, est soudainement rattachée à Tintin, au capitaine Haddock, à mon enfance, à ma chambre, à mon frère patientant à mes côtés, comptant les pages qui me restaient à lire avant la fin de l’album et qui nous séparaient ainsi de la reprise éventuelle d’un jeu que, sans doute, j’avais interrompu par caprice ou dont j’avais décrété (ce qui revient au même) la provisoire inanité.
Autre exemple: j’ouvre Zones, de Jean Rolin. L’exergue est d’un certain Selimovic. Je me demande s’il est croate… Si cela devait se vérifier, je serais… La guerre… Il y aurait, de même, une étincelle, une onde, un fil… Et Zones, Rolin, la thèse seraient donc connectés à Zadar, au grand-père, au roman…
Cela fait-il de moi un homme dont le psychisme est à dominante narrative (ou "diachronique"), et non pas à dominante épisodique, pour reprendre les catégories de Galen Strawson, que j’ai tâché d’exposer à S. avant de la raccompagner gare de Lyon ?
Signes non pour être complet, non pour conjuguer / mais pour être fidèle à son ‘transitoire’ / Signes pour retrouver le don des langues / la sienne au moins, que, sinon soi, qui la parlera ? H.M.
20 août 2010
Paris carnet de la patience 14
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1 commentaire:
Un immeuble sans âme vaut une prairie en fleurs, car, incapable de s’en tenir aux faits, tout ce qu’il voit lui rappelle quelque chose d’autre. Il est, parmi les animaux migrateurs, celui de l’analogie. Visages aux yeux fixes, murs froids et larmoyants, bruits de sirènes, salaires empochés dans un juron, jets blanchâtres de crachats sur la voie, fatigue, fatigue de se déplacer au rythme des machines dans la vapeur des éclairs de soudure ou à l’arrière des camionnettes qui emportent leur cargaison de journaliers, apparemment insensibles à la pluie, au soleil, à tout ce qui leur tombe sur la tête, ballottés épaule contre épaule dans un nuage de gaz d’échappement vers la prochaine zone industrielle, ou verger, ou, plus généralement, vers un lieu sans affectation distincte, mélange de ville et de campagne, d’usines, de centres commerciaux, de décharges, de prés, d’enclos, de serres, d’aires de repos et de prostitution, sans autre nécessité que de se situer en bordure de grands axes routiers, il voit tout cela pour la millième fois de façon limpide, et pourtant il ne peut s’empêcher de déformer les pylônes d’acier et de ciment.
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